Depuis quatre jours la guerre est là. En Ukraine. Depuis quatre jours je suis collé aux infos. En sortant en montagne je me dépense. Je me dépense et je dé-pense. C'est la seule manière que j'ai trouvé de ne pas y penser durant quelques heures, et je me demande si je n'y vais pas surtout pour ça. Alors aujourd'hui, autant voir les choses en un peu plus grand : le Buet, avec sa longueur et son dénivelé, au moins ça va me prendre un petit moment. Et puis, curieusement, je n'y suis encore jamais allé. C'est beau, c'est long, je n'en demande pas plus.

J'aime cet endroit, j'aime y venir en hiver car les conditions y sont souvent bonnes et la descente en forêt fort plaisante. Mais cette fois, ce n'est pas moi qui ai prévu cette sortie et je crois que j'aurais fait un autre choix, car je pensais que l'enneigement serait insuffisant. En fait je me trompais : la descente a été un pur plaisir, même s'il fallait être un peu attentif aux cailloux cachés sous la neige fraîche. C'est bien, parfois, quand d'autres décident.

Fleurke n'a encore jamais fait de ski de randonnée, et ne sait pas trop de quoi elle est capable en hors-piste. Et elle n'est pas du genre à se surestimer ou à souffrir d'excès de confiance ; ce serait plutôt l'inverse. Michel, lui, a déjà de l'expérience et désire la partager. Je dois mitonner une journée aussi ludique, jouissive et encourageante que possible. Jolie chute de neige hier, de ce côté-là tout va bien. Nous allons au Tour, pour mixer du ski hors-piste et un petit peu de peau de phoque. La grande chance, c'est que le téléski des Posettes ne fonctionne pas, nous pouvons donc monter à l'aiguille des Posettes, il n'y a pas plus simple et gratifiant, à la montée comme à la descente. Et nous faisons un beau hors-piste du côté de Jeurs. Une fois encore je me dis que démonter ce téléski et faire de cette aiguille des Posettes un terrain d'initiation à la randonnée à skis, ce serait une bien belle idée. Se réalisera-t-elle un jour ?

Ulf et Anna sont de vieux amis suédois, que j'ai toujours grand plaisir à retrouver, depuis les lointaines années où Ulf venait régulièrement skier avec les stages de Patrick Vallençant. Nous vieillissons ensemble et c'est bien. Ulf trouve toujours autant de plaisir, du moment que c'est beau. J'ai donc choisi une sortie à la beauté inusable. Un peu d'effort à la montée, juste de quoi jouir encore mieux du plaisir de la descente. What else ?

Je ne suis pas seul à cette brèche de Bérard, cela se voit, puisqu'il y a d'autres personnes, là. Néanmoins je ressens ce plaisir d'être seul, non pas parce que je ne vois personne, mais parce que je suis dans mon propre temps : celui du rythme de progression, de la brièveté des arrêts, de l'enchaînement à la descente. Finalement, le sentiment de profiter en solitaire de cet environnement dans lequel j'aime tant me trouver, de quoi vient-il ? Faut-il qu'il n'y ait personne ? Ou suffit-il que mon déplacement ne dépende d'aucune autre interaction que celle que j'ai avec le terrain ? et que je m'y déplace selon mon temps propre ?